mardi 22 mars 2016

Les études de sage-femme quand on est mère de famille, un vrai défi.

   Autrefois (il y a quelques siècles quand même) ne pouvaient être sages-femmes que des femmes ayant elles-mêmes déjà accouché, et si possible ayant eu beaucoup d'enfants.
Aujourd'hui, en France, la sage-femme jeune diplômée type est une jeune fille femme qui a eu son bac a 18 ans et 5 ou 6 ans plus tard, après des études bien remplies commence à travailler, à faire des accouchements et tout le tintouin.

Les femmes qui découvrent sur le tard une passion pour ce métier après avoir eu un ou plusieurs enfants se lancent rarement dans le parcours du combattant que sont les études de sage-femme. En effet, les études sont organisées pour de jeunes étudiantes célibataires qui n'auront qu'à attendre leur diplôme avant d'espérer lancer une vie de famille. Il n'y a pas si longtemps, si l'on interroge les sages-femmes ayant une quarantaine d'années, c'est tout juste si on ne leur distribuait pas la pilule tous les matins. Certaines ont même dit en voyant mon ventre rond sous ma blouse d'étudiante "Ben dis donc, ça a bien changé, à mon époque, si tu étais enceinte pendant les études tu étais virée, ou au mieux, tu redoublais d'office !"



Le Programme des études

Petit bilan tout d'abord sur le déroulement des études de sage-femme en France aujourd'hui :

La PACES
(première année commune aux études de santé autrement dit le fameux "concours de médecine")

Une année de travail intensif... (Souvent deux pour beaucoup) Où tu découvres que ton cerveau a quand même bien plus de capacités de mémoire que ce que tu croyais humainement possible mais, avant de t'en rendre compte, tu passes par de grosses phases de découragement en voyant la pile vertigineuse de nouveaux cours s'entasser tous les jours sur ton bureau, qu'il te faut connaître sur le bout des doigts... mais surtout apprendre VITE ! Et surtout le principe du concours, c'est que ce n'est pas le tout d'apprendre bien, il faut apprendre mieux que les autres !
Il faut avouer que certains jours tu trouves assez absurdes les calculs d'enthalpie libre, de dérivés ou de fission nucléaire quand ton projet est de devenir sage-femme...
La motivation est le secret numéro un, en gardant un esprit léger et en partant dans l'idée qu'on l'aura du premier coup ce p#%@* de concours, ce qui permet de se donner à fond dès le début et d'espérer l'avoir tout court en 1 an ou en 2 ans.

Certaines facultés de médecine (à Toulouse par exemple) ont une à deux places pour les paramédicaux (infirmiers, psychomotricien, etc...), ce qui permet d'être sur une liste à part avec classement uniquement entre paramédicaux, c'est peu connu, peu tenté et donc, il y a souvent autant, voire plus de places que d'inscrits. Dans ces cas-là, il suffit d'avoir la moyenne au concours. Les cours et les épreuves sont exactement les mêmes. L'année où j'ai passé le concours par exemple, il y avait trois places pour médecine et une place pour sage-femme mais que personne n'a demandée.

Ensuite, une fois l'épreuve du feu passée, il y a 4 ans d'école de sage-femme découpées en L2 et L3 (2ème et 3ème année de licence en sciences maïeutiques) puis en M1 et M2 (master 1 et master 2) avec enfin le diplôme d'état de sage-femme. Contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, le plus dur reste à venir...

  • La L2 est une année qui semble assez reposante après l'année de concours mais assez ennuyeuse aussi. Ce sont essentiellement des cours théoriques sur la biologie, la pharmacologie et la physiologie humaine parfois un peu d'obstétrique mais pas dans toutes les écoles et il y a un à deux petits stages de 3 à 4 semaines de soins infirmiers et d'observation en maternité, assez variables aussi selon les écoles. 

  • En L3 on rentre enfin dans le vif du sujet ! Enfin, de nombreux stages en maternité (les durées de stages sont indicatives car elles peuvent légèrement varier d'une école à l'autre) : suites de couches (6 à 9 semaines divisées en 2 stages), salle de naissance (12 semaines divisées en 3 stages) et consultations de grossesse (6 semaines en 2 stages). Et beaucoup de cours sur l'obstétrique, la grossesse, le post-partum, la pédiatrie. Axé essentiellement sur la "physiologie" (hum... telle qu'elle est envisagée en milieu médical...)
Une année assez fatigante, beaucoup de stress en stage car tout est nouveau, on est encore malhabile et toutes les sages-femmes n'ont pas forcément envie de s'encombrer de "godiches", mais elles apprécient beaucoup les larbins... Les horaires sont souvent en 12h de garde, essentiellement de jour, sauf en salle de naissance où l'on fait autant de jours que de nuits. Attention on fait souvent 40h par semaine... parce que 12h de garde c'est sur le papier, c'est plus souvent 13h en comptant un staff et des transmissions qui durent.

  • En M1, les choses très sérieuses commencent. On devient enfin une bonne petite étudiante dégourdie qui a beaucoup plus d'autonomie. Les sages-femmes apprécient de nous avoir en stage puisqu'on fait de bonnes petites mains pour les soulager dans leur quantité excessive de travail. Du coup, on est enfin super bien payées !!! 81 Euros par mois de salaire (imposable s'il vous plaît !) Youhou ! (Non, vous ne rêvez pas, il n'y a aucune erreur de frappe). 24 semaines de stages et 10 semaines de cours. Programme de gynécologie et de pathologies de la grossesse et de l'accouchement, formation en réanimation du nouveau-né, etc... Gros gros morceau aussi cette année, avec en plus démarrage du mémoire de fin d'études, des présentations de dossiers, etc...

  • En M2, ou... le pire pour la fin ! Mise en place du "stage intégré" avec 6 mois de stage dans une maternité de niveau 2 ou 3 dans laquelle on tourne dans les différents services sur les mêmes horaires que les sages-femmes, puis 2 fois 4 semaines avec gynécologie et consultations de grossesse. Le salaire est mirobolant il s'élève à 200 euros par mois. 6 à 8 semaines de cours et le mémoire de fin d'études à rendre. Une année très intense, stressante... Je n'ai personnellement eu qu'une seule semaine de congés entre le premier septembre et le 30 juin. Prévoir des semaines à minimum 3 gardes par semaine voire plus en alternance jour/nuit, jour/nuit (allez comprendre pourquoi nous sommes à plus d'un temps plein, 37h30 par semaine et sans aucun congés), bien sûr rédiger le mémoire pendant vos repos de gardes et réviser tous vos cours pour vos examens avec un cerveau de zombie, et préparer le diplôme d'état... Avoir à la fin de chaque garde la pression de la sage-femme "je te la valide cette garde ou pas ?". Bref, comment dire que le concours de PACES à côté de cette année-là c'était juste une promenade de santé. Personnellement, j'ai découvert ce qu'était le gouffre du burn-out et j'ai cru mourir avant la fin de l'année... Mes enfants ont eu une "maman-fantôme" et toute la famille en a souffert.
    Et enfin...
Le fameux diplôme... sésame à de nombreux CDD sur des postes que personne ne veut ou sur des remplacements de congés maternité à droite à gauche pendant au moins 2 ans en moyenne ou bien, la possibilité plus ou moins facile de démarrer en libéral pour faire un travail auquel vos études vous auront mal préparée puisque centrées sur l'hospitalier.

Alors maman et étudiante, toujours tentée ?

Faire des bébés ou tout simplement élever des enfants déjà tout faits pendant ces études relève du super défi ! Vous travaillerez sur un très gros temps plein voire plus... puisqu'il faut compter le temps de travail personnel en plus des cours et des stages. Sans rémunération. Et il faut en plus s'occuper de la petite famille en rentrant, gérer les gardes qui ne correspondent jamais aux horaires de crèches, d'école ou de nounou... Ne pas faire face au découragement parce que c'est looooooong comme études. Je crois que toutes les étudiantes trouvent qu'elles sont interminables.



Je n'ai personnellement pas connu la phase concours avec des enfants (et c'est certainement ce qui a contribué à ce que je n'ai pas eu à la faire en replay). Mais j'ai donc expérimenté 2 grossesses et 2 enfants en cours d'études.

A savoir que les écoles de sages-femmes sont dorénavant obligées de proposer des aménagements d'études en cas de grossesse. Ce qui signifie, possibilité de prendre une année de pause, ou bien (j'ai choisi cette option en L2 pour mon premier enfant et en M1 pour le second) répartir le programme de l'année sur 2 ans en séparant théorie sur une année et stages sur la suivante. Ce qui permet d'avoir des années allégées, un peu à "mi-temps" et d'avoir une vie de famille un peu plus correcte. Le problème c'est que ce n'est pas facilement réalisable sur la 5ème année qui est pourtant la plus chargée et la plus éprouvante physiquement (et nerveusement).


Prévoir les désillusions

Évitez, comme c'est mon cas, d'habiter à plus de 250 km d'une école de sage-femme avec un conjoint qui ne peut pas se déplacer à cause d'un boulot peu flexible... Cela rend l'organisation beaucoup plus complexe et sachez que la majorité des stages ont lieu en CHU, à côté de l'école. Les départs sans la famille sont dans ce cas bien plus long, même si ça peut avoir le mérite d'entretenir la jeunesse quand vous partez pour 3 jours en train ou en covoiturage avec le sac à dos qui contient, sac de couchage, cours, 3 culottes et, et, et... le tire-lait !!!

L'idéal étant d'habiter dans la ville de l'école et d'avoir beaucoup de soutien pour l'organisation (papi, mamie, copines, voisines) et un couple SUPER-SOLIDE ! Attention, les études de sage-femme exercent un véritable broyage des relations conjugales, vous allez souvent vous sentir incomprise par votre conjoint qui pourra difficilement imaginer dans quel milieu sordide vous évoluez.

Il est tout à fait possible que vous vous découvriez une pathologie mentale en cours de cursus, une dépression cognée, une psychose, des phases maniaques ou hystériques et des moments de profonde prostration ou carrément un dégoût du métier de sage-femme (j'ai souvent eu l'envie soudaine d'être fleuriste pendant ces années). Pas évident quand il faut continuer de gérer le quotidien d'une famille.

Si vous avez connu un bel accouchement naturel, en petite maternité, maison de naissance ou à la maison... Oubliez ! Au moins durant vos études. (voire même, n'en parlez jamais à personne). Sachez que tout ce que vous verrez ne ressemblera en rien à ce que vous avez connu. Imaginez plutôt que vous serez sur une autre planète et prenez juste ce qu'il y a à apprendre. Vous ne verrez pas peu d'accouchements en liberté de mouvement et sans péridurale. Vous serez formatées formées au travail de sage-femme hospitalière super technicienne sur-exploitée. Mais si vous souhaitez vous engager sur la voie du libéral, il faudra vous reformer en sortant de vos études...

Ne vous attendez pas à avoir plus de bienveillance de par votre statut de mère par les sages-femmes. Certaines sont admiratives mais d'autres hyper désagréables (jalouses comme des poux parce que vous êtes wonder-woman ???). Par contre, elles vous laisseront volontiers les démarrages d'allaitements difficiles à gérer ou la femme qui a mal mais à qui on ne peut pas poser de péri...

...
Voilà donc un portrait que j'espère pas trop sombre... Parce que je suis persuadée qu'après, si l'on exerce son art dans le cadre qui nous convient, c'est un métier fantastique dans lequel je me régale déjà et qui compense malgré tout le salaire peu conséquent inhérent à nos responsabilités et à notre investissement.

Il y a environ 1 à 2 mères de famille par promotion d'une trentaine d'étudiants je dirai... Certaines arrivent au bout de ces études même en pondant des bébés, et une fois sorties du tunnel sont ravies, donc, c'est possible.

La pensée est créatrice. Je crois que si c'est votre chemin, les portes s'ouvriront et le destin vous fournira les rames... ;-)



PS (un an après la première rédaction de cet article) :
Arrivant au terme de mes études, je me vois aujourd'hui bien plus pessimiste. Mes examens sont à priori validés, il ne me reste que quelques jours de stage, un mémoire que je remettrai à la fin de l'été... Mais j'ai le sentiment d'avoir perdu beaucoup. La fierté d'être arrivée au bout n'est plus au rendez-vous. J'ai découvert l'horreur du burn-out durant les derniers mois, à ternir debout je ne savais plus comment, à pleurer quotidiennement et à être incapable de m'occuper de mes enfants.
Toute la famille en a pâti. J'ose espérer que nous allons réussir à nous reconstruire dans les mois à venir.
Bref, je ne recommande plus ces études aux jeunes mères, pas en France en tous cas. Et si j'avais su que ce serait si dur, je ne l'aurais pas fait. Ou alors ailleurs et différemment.